Impunité « made in Europe »
Pourquoi l’Europe fait-elle obstruction, au sein de l’ONU, à l’adoption d’un traité international ambitieux sur les multinationales et leur responsabilité en matière de droits humains et d’environnement ? Un nouveau rapport publié dans le cadre du réseau européen d’investigation ENCO se penche sur la troublante proximité entre l’Union européenne et les lobbies des multinationales, et sur ce qu’elle révèle : une conception du monde où le secteur privé est associé à toutes les décisions, et où lui imposer des règles contraignantes devient quasi inimaginable.
Le rapport « Impunité made in Europe » inclut également un ensemble d’étude de cas qui illustrent les mécanismes de l’impunité des multinationales et mettent en évidence l’échec des approches dominantes – basées sur la RSE – à mettre fin aux violations des droits humains et à remédier effectivement aux problèmes rencontrés par les personnes et communautés affectées. Ces études de cas montrent également que contrairement à ce qu’affirment souvent les décideurs européens et les dirigeants des multinationales du vieux continent, ces dernières sont loin d’être « exemplaires » en ce qui concerne les impacts de leurs activités sur les populations et l’environnement, notamment (mais pas exclusivement) en ce qui concerne leurs activités hors d’Europe. Elles révèlent au contraire une tendance des multinationales européennes à délocaliser leurs pires impacts sociaux et environnementaux dans les pays du Sud, en profitant pour ce faire de l’architecture d’impunité en place.
Les études de cas, dont un cas élaboré par l’organisation allemande FIAN et l’ASTM qui pointe du doigt le Luxembourg, montrent qu’il y a un besoin urgent d’un traité international contraignant pour combler les lacunes dans les législations nationales et internationales. Il est urgent de faire face à la complexité des structures juridiques des sociétés transnationales afin de rendre les sociétés mères et les filiales responsables de leurs activités à l’échelle mondiale.
Cette semaine, la quatrième session du groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un traité contraignant sur les sociétés transnationales et les droits de l’homme se réunit à Genève. Les Etats négocient sur la base d’un ” Texte Zéro” qui a été publié cet été.
Au cours des quatre dernières années, l’UE a fait obstruction au processus d’élaboration du traité. Elle a également exigé que les entreprises participent aux négociations et les à invité à “co-écrire” des réglementations qui s’appliqueraient à eux. Depuis longtemps l’Union européenne se caractérise par sa politique de porte grande ouverte au secteur privé et à ses lobbyistes, et par la place croissante qu’elle donne aux grandes entreprises dans la rédaction de ses régulations et de ses politiques publiques. Elle semble déterminée à signer partout dans le monde des accords de commerce et d’investissement mettant les intérêts des multinationales au-dessus des droits humains. En ce sens, la politique commerciale européenne facilite le type de violations des droits humains et de l’environnement auxquelles le traité contraignant cherche à s’attaquer.
Mónica Vargas, de l’Institut transnational (TNI), a déclaré : “Un traité contraignant solide sur les sociétés transnationales en matière de droits de l’homme changera la donne dans l’arène du droit international des droits de l’homme. Les études de cas des sociétés européennes présentées dans ce rapport montrent comment l’impunité des entreprises prévaut actuellement et entraîne un déni de justice à l’égard des communautés touchées. Le temps est venu d’agir de manière décisive pour mettre fin aux activités des entreprises et c’est notre appel aux Etats membres de l’UE et à tous les Etats membres de l’ONU”.
Ce rapport est le premier grand rapport initié par l’ENCO (European Network of Corporate Network) nouvellement créé. Elle est le fruit d’une recherche et decontributions de nombreuses organisations de la société civile et des médias d’Europe et du Sud.
Télécharger ou lire le rapport en anglais