STOP ISDS – Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales
Action Solidarité Tiers Monde (ASTM) rejoint une campagne paneuropéenne de mobilisation citoyenne appelant les dirigeants européens à mettre fin au système de justice parallèle dont bénéficient les entreprises multinationales – les tribunaux d’arbitrage – et à introduire des règles contraignantes pour qu’elles respectent les droits humains et l’environnement. Articulée autour d’une pétition, la campagne est soutenue par plus de 150 organisations de la société civile. En seulement trois jours, la pétition a obtenu plus de 200 000 signatures.
Le lancement de cette campagne coïncide avec le début en avril des négociations d’une Cour multilatérale d’investissements proposée par l’UE qui constitue une nouvelle tentative de légitimer le système d’arbitrage auquel des millions de citoyens européens se sont opposés. Malgré la controverse autour des tribunaux d’arbitrage, les plaintes devant ces instances et les montants en jeu ont grimpé en flèche au cours des dernières années. Le Luxembourg figure dans le peloton de tête des pays à l’origine des plaintes.
Mettre fin à l’arbitrage investisseur-Etat
Le mécanisme d’arbitrage permet aux investisseurs privés d’attaquer en justice un Etat si celui-ci prend une décision contraire à ses intérêts par l’intermédiaire d’un système de justice parallèle. Il donne de nombreux privilèges aux investisseurs : par exemple, ils sont les seuls à pouvoir y recourir. Depuis les années 1990, son utilisation a pris de l’ampleur : il est aujourd’hui présent dans plus de 3.300 accords internationaux dont plus de 1.400 conclus par des États membres de l’Union européenne, y compris parfois entre eux. Le nombre de ces accords ne cesse de croître. Aucun domaine n’est épargné par les entreprises et les investisseurs dans leur capacité à attaquer les Etats. À ce jour, 904 cas d’arbitrage touchant à différents domaines comme la santé, la fiscalité, l’environnement ou le montant des salaires ont été recensés.
Les Etats attaqués devant ces tribunaux d’arbitrage risquent des dédommagements colossaux. La menace d’une telle compensation peut influencer les décisions politiques et même freiner l’adoption de mesures bénéfiques pour l’intérêt général et la protection des droits des citoyens. Sur tous les continents des lois contre le tabagisme, des interdictions de produits chimiques toxiques, des politiques de lutte contre les discriminations, des mesures pour la stabilité financière, des restrictions à l’encontre de projets miniers polluants ont été contestées, entre autres. 60% des plaintes contre les pays membres de l’UE concernent l’environnement.
Cour multilatérale d’investissement : le nom change, le problème demeure le même
Lors des grands mouvements d’opposition au traité de libre-échange « Traité transatlantique sur le commerce et les investissements (TAFTA ou TTIP en anglais) beaucoup de personnes en Europe et aux Etats-Unis ont découvert les failles du système d’arbitrage. Le tollé général qui a suivi alors avait forcé la Commission européenne à arrêter les négociations sur le chapitre du TAFTA relatif à l’investissement et à organiser une consultation publique sur ce thème. Plus de 97% des 150 000 participants, une participation record, ont rejeté le principe de ces privilèges lors de cette consultation. A cela s’ajoutent les voix des 3,5 millions de citoyens qui avaient signé la pétition contre le TAFTA et le CETA.
Pour tenter de contourner cette opposition massive, la Commission européenne a proposé en 2015 la mise en place d’une Cour multilatérale d’investissement à la place du système d’arbitrage. Or, selon plusieurs organisations de la société civile, ce n’est qu’une opération de changement de nom car elle n’aborde pas les problèmes fondamentaux liés aux privilèges des investisseurs. En vertu du mécanisme déposé par la Commission, seuls les investisseurs étrangers jouiront du droit particulier de déposer des plaintes et l’accusé sera toujours l’Etat. Ni les citoyens, ni les collectivités, ni les syndicats, ni les Etats ne pourront engager une action lorsqu’une entreprise viole les droits humains relatifs à l’environnement, au travail, à la santé ou à d’autres règlementations. Le mécanisme proposé se caractérise par son côté à sens unique, ce qui fait que, structurellement, il favorise les investisseurs, car seuls leurs recours peuvent alimenter le système et les personnes qui en profitent financièrement.
Suite à la proposition de la Commission, des négociations sur la mise en place de cette nouvelle Cour commenceront en avril au sein des Nations Unies. La première session aura lieu du 1er au 5 avril 2019. L’enjeu est de taille car ce processus menace de verrouiller à jamais le mécanisme d’arbitrage très controversé qui ne profite qu’aux grandes entreprises.
8èmeplace mondiale pour le Luxembourg en plaintes introduites
Selon les chiffres fournis par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement des Nations Unies (UNCTAD), le Luxembourg se classe à la 8èmeplace des pays les plus fréquents d’origine des plaintes. A ce jour, 40 plaintes ont été déposées contre des Etats partout dans le monde par des investisseurs luxembourgeois.
La moitié des plaintes déposées par des investisseurs luxembourgeois sont liées au Traité sur la Charte de l’Energie. Selon un rapport publié par Corporate Europe Observatory et Transnational Institute en 2018, ce traité constituerait un vrai obstacle dans la lutte contre le changement climatique. Si un investisseur estime qu’une mesure publique nuit à ses profits, il peut attaquer l’Etat qui l’a prise et demander des millions voire des milliards en dédommagements, même quand la mesure est bénéfique pour la protection de l’environnement. Selon ce même rapport, le Traité sur la Charte de l’Energie fait aussi l’objet d’abus de la part de sociétés boîtes aux lettres, dont certaines domiciliées au Luxembourg.
Des investisseurs luxembourgeois et italiens se sont également attaqués à des lois visant à lutter contre la discrimination. En 2007, ils ont porté plainte contre l’Afrique du Sud pour sa « loi sur l’habilitation économique des Noirs » (« Black Economic Empowerment Act »), une loi ayant pour objectif de contribuer à réparer les injustices du régime de l’apartheid. Cette loi impose, entre autres, aux compagnies minières de transférer une partie de leurs actions aux investisseurs noirs. La procédure a été close en 2010 après que les investisseurs luxembourgeois et italiens aient reçu des licences, imposant des cessions d’actions moins importantes aux investisseurs noirs.
Responsabiliser les multinationales
En 2017, la France a adopté la « loi sur le devoir de vigilance ». Cette loi marque une étape historique dans la protection des droits en imposant aux entreprises françaises de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement pouvant résulter de leurs activités et celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants de par le monde. La loi sur le devoir de vigilance s’insère dans un cadre juridique international en évolution rapide. A l’échelle européenne et onusienne, diverses initiatives sont en effet en cours pour rendre les multinationales redevables de leurs actes devant la justice. Ainsi, un projet de traité est en négociation depuis 2015 à l’ONU, processus soutenu par une forte mobilisation de la société civile internationale. Au Luxembourg, l’Initiative pour un devoir de vigilance a été créée.
L’ASTM participe à cette initiative dans le cadre de sa campagne « No corporate impunity – Droits humains avant profits ». La protection des droits humains et de la planète doit primer sur les règles commerciales et de protection des investissements. Nous sommes aujourd’hui face à des défis environnementaux et sociaux d’une ampleur inédite qui requièrent une mobilisation sans faille des citoyens et des Etats pour les relever.
>>>Signez la pétition https://nocorporateimpunity.org/petition-isds/